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Signets d'économie et de gestion

Sélection de portails et de sites web gratuits dans le domaine de la science économique et des sciences de gestion, actualités en salle à la BnF

Le livre du mois

Livre du mois - L'économie féministe - mars 2024

Hélène Périvier, L’économie féministe. Paris : Sciences Po Les Presses, 2020. 216 p.

Ce mois-ci, le service Économie Prisme de la BnF met à l’honneur un champ en plein essor ces dernières années, celui de l’économie des femmes et du genre avec deux présentations d’ouvrages en salle, l’une en salle D (bibliothèque tous publics en Haut-de-jardin) et l’autre en salle N (bibliothèque de recherche en Rez-de-jardin). Elles s’accompagnent de nouvelles acquisitions pour les deux salles, dont un incontournable, L’économie féministe d’Hélène Périvier (Sciences Po Les Presses, 2020).

Économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE/Sciences Po) et directrice du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), Hélène Périvier travaille sur les politiques sociales et familiales ainsi que sur les inégalités femmes-hommes. Son travail éclaire doublement le champ de l’économie des femmes et du genre : du point de vue conceptuel, en éclairant la discipline économique à l’aune des théories féministes, et en termes d’objet de recherche, en détaillant l’histoire de l’accès des femmes au marché du travail. Dès les premières lignes de cet ouvrage paru en 2020, Hélène Périvier s’affirme comme « économiste féministe » (p.13) et postule l’importance de mettre le féminisme au cœur de la réflexion économique. Seule une économie féministe permet en effet de dévoiler les biais sexistes qui affectent l’économie, discipline construite au xixème par les hommes et pour les hommes, et d’analyser les raisons pour lesquelles l’égalité économique entre les femmes et les hommes n’est pas atteinte aujourd’hui. Loin d’être un oxymore, l’économie féministe est une branche à part entière de l’économie structurée autour d’une association, l’International Association for Feminist Economics (IAFFE), et d’une revue scientifique reconnue, Feminist Economics.

Après avoir détaillé comment l’économie du xixsiècle s’est surtout concentrée sur des questions de production et de distribution de richesses dans le monde du travail et a exclu les femmes des analyses en mettant de côté le travail domestique, Hélène Périvier revient sur le travail d’économistes qui ont eu des conceptions émancipatrices de la place des femmes (John Stuart Mill, Thorstein Veblen). Surtout, elle rend visible le travail des « filles d’Adam Smith » (p.126) (Julie-Victoire Daubié, Clémence Royer) qui, alors qu’elles ont participé aux débats économiques de leur temps, ont été marginalisées. Aujourd’hui encore, l’économie est la science sociale la moins féminisée (1/4 des économistes dans le monde sont des femmes, 1/3 en France) en raison de multiples barrières : une discipline masculinisée et une absence de « rôle modèle » pour les jeunes étudiantes, des carrières académiques reposant sur un Publish or Perish peu compatibles avec la maternité et les activités administratives dans lesquelles les femmes s’engagent bien plus que les hommes, des biais de genre qui affectent l'évaluation des femmes économistes ou encore l’expérience de violences sexistes et sexuelles.

Enfin, Hélène Périvier montre comment l’économie peut éclairer une partie des questionnements féministes en revenant sur la mise en place d’une division sexuée du travail au xxe siècle. Alors que l’émergence de l’État social après la Seconde Guerre mondiale sanctifie la place de Monsieur Gagnepain sur le marché du travail, celui-ci étant chargé de ramener un salaire pour l’ensemble du foyer, sa conjointe est cantonnée à la sphère familiale. Ce sont les politiques publiques qui viennent compenser cette spécialisation des rôles avec des mécanismes de redistribution qui permettent un maintien du niveau des ménages. Bénéficiant de droits dérivés du statut salarial de leur conjoint, les femmes mariées touchent des revenus indirects au titre de leur statut familial et non en propre. L’accès progressif des femmes au salariat à la fin des années 1960 fragilise la logique de Monsieur Gagnepain. Toutefois, avec des écarts de salaire qui ne se réduisent plus depuis les années 1990, c’est un nouveau modèle qui a émergé, celui de Madame Gagnemiettes. Cet ouvrage montre ainsi comment les inégalités socio-économiques entre les femmes et les hommes persistent encore aujourd’hui.

 

Ouvrage disponible en salle D (BnF, site François-Mitterrand, Haut-de-Jardin) et en salle N (Rez-de-Jardin).

Pour retrouver les travaux des économistes mentionnés dans la recension et bien d’autres, rendez-vous dans les Essentiels de l’économie de Gallica.

 

 

Livre du mois - Le genre du capital - Janvier 2024

Céline Bessière, Sybille Gollac, Jeanne Puchol. Le genre du capital. Enquêter sur les inégalités dans la famille. Paris : La Découverte Delcourt, 2023.

 

Le 13 décembre 2023, Céline Bessière, Sibylle Gollac et Jeanne Puchol ont obtenu le prix lycéen de la bande dessinée d’économie pour Le genre du capital. Enquêter sur les inégalités dans la famille.

Les inégalités de revenus augmentent et les inégalités de patrimoine encore plus, c’est un constat que l’ouvrage Le Capital au xxisiècle, a contribué à diffuser. En revanche, il est bien moins admis que les inégalités de patrimoine entre les femmes et les hommes augmentent aussi. Le capital a un genre, comme le démontrent les travaux de Céline Bessière et de Sybille Gollac.

Adaptée de l’ouvrage du même nom paru aux Éditions La Découverte en 2020, cette bande dessinée donne la parole à une bande de chats qui, rapportant les propos des humain.es chez qui ils vivent, décortiquent les mécanismes de reproduction et d’accroissement des inégalités de patrimoine et de revenu dans la famille. La mise en dessin des échanges de la dessinatrice avec les deux sociologues lors de la conception de l’ouvrage sert également de fil rouge permettant d’évoquer la série d’entretiens menés auprès de familles, d’avocats, de magistrats et de notaires et l’important travail archivistique accompli (dépouillement de livrets de famille, actes notariés, courriers, comptes d’entreprise familiale…).

Avec simplicité et pédagogie, les trois autrices montrent ainsi comment la transmission du patrimoine et la séparation des biens conjugaux lors de divorces se jouent en défaveur des femmes, que ce soit dans l’intimité des familles ou dans les tribunaux, dans les familles défavorisées comme dans celles socialement et économiquement aisées.

 

Ouvrage disponible en salle D (BnF, Site François-Mitterrand, Bibliothèque Haut-de-Jardin).

 

 

Livre du mois - Marie Curie habite dans le Morbihan - février 2024

Xavier Jaravel, Marie Curie habite dans le Morbihan : démocratiser l’innovation. Paris : Seuil, 2023.

Le prix du livre d’Économie 2023 attribué par l’association Lire la Société a récompensé un essai de Xavier Jaravel, jeune économiste spécialisé dans les questions d’inflation et d’innovation qui enseigne à la London School of Economics.

Ce petit livre montre que l’innovation ne génère pas nécessairement des inégalités. Par contre, les inégalités ne peuvent pas se réduire si l’on n’investit pas dans l’éducation.

La « Marie Curie » du titre désigne la chercheuse qui aurait pu émerger si l’on avait permis à sa vocation de s’épanouir. De manière frappante, Xavier Jaravel pointe ainsi : « Si les femmes et les personnes issues de milieux modestes se tournaient vers les carrières de l'innovation à la même fréquence que les hommes de milieux favorisés, il y aurait environ trois fois plus d'innovateurs qu’actuellement. »  (pp. 73-74).

Et pourquoi Marie Curie habite-t-elle dans le Morbihan ? Parce que ce département est caractéristique des obstacles à l’innovation : il cumule de très bons résultats scolaires, parmi les meilleurs de France, et a le plus faible taux d’élèves qui se destinent aux carrières de la recherche et de l’innovation. Les raisons pour lesquelles le Morbihan forme si peu de chercheurs et d’entrepreneurs sont multiples. Elles relèvent à la fois de la sociologie du département, des secteurs d’activités qui y sont développés (le tourisme et l’agriculture) et de l’éloignement des universités, des labos de recherche et des pépinières d’entreprises.

Par ailleurs, les analyses statistiques montrent que les phénomènes mimétiques intergénérationnels sont très puissants et que l’exemple parental est plus déterminant que les dispositions individuelles. « Les enfants dont les parents sont eux-mêmes des innovateurs ont tendance à innover dans la même technologie. Si votre père travaille sur les démodulateurs, il est dix fois plus probable que vous innoviez dans ce domaine plutôt que dans d’autres pourtant quasiment identiques, comme les modulateurs. Conclusion : de nombreux individus ne se tournent pas vers l’innovation, alors qu’ils en auraient les aptitudes. » (p. 76), développe Xavier Jaravel. 

Pour sortir de ces déterminismes, l’auteur propose des pistes simples qui permettraient de démocratiser l’accès à l’innovation. S’il admet que les progrès technologiques créent des inégalités, taxer les riches aurait, selon lui, peu d’incidence sur leur réduction. Ce qu’il propose, c’est de diffuser le goût d’innover et la possibilité de s’y consacrer en particulier pour les populations qui, comme celle des femmes qui habitent le Morbihan, en sont les plus éloignées. Le constat selon lequel la France a un système éducatif qui reproduit les inégalités, voire qui les accroît, est partagé par la plupart des acteurs du système et par les enquêtes internationales (celle du PISA notamment). C’est donc là qu’il faut agir : « la priorité numéro un est la politique éducative. » (p.114).

Bien sûr, l’économiste n’est pas le premier à appeler à investir massivement dans l’éducation et la recherche. Il est en revanche parmi les premiers à montrer que l’on peut mesurer l’impact qu’auraient de telles mesures en terme de croissance et surtout de réduction des inégalités territoriales, sociales et de genre.

Ouvrage disponible en salle D (BnF, Site François-Mitterrand, Bibliothèque Haut-de-Jardin).

Livre du mois - La fabrique du consommateur - avril 2024

Anthony Galluzzo, La Fabrique du consommateur : une histoire de la société marchande. Paris : La Découverte, 2023. 267 p. (1ère éd. Zones, 2020).

Cette année, nombreux sont les événements consacrés à l’histoire de la consommation marchande : une exposition en deux volets avec « La naissance des grands magasins » au Musée des Arts Décoratifs (10 avril -13 octobre 2024) puis « La saga des grands magasins » à la Cité de l’architecture et du patrimoine (6 novembre 2024 – 6 avril 2025), une autre sur le développement commercial des villes de 1860 à 1914 vu par les artistes au musée des Beaux-arts de Caen (6 avril – 8 septembre 2024), une exposition sur la publicité à Paris en 1924 à la bibliothèque Forney (28 mai – 28 septembre 2024). À la BnF, les catalogues du Bon Marché ont été récemment numérisés, tout comme ceux de la bibliothèque Forney, et une série de billets sur les grands magasins paraîtra prochainement sur le blog Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF et de ses partenaires. La fabrique du consommateur - Anthony Galluzzo

Un retour à l’ouvrage d’Anthony Galluzzo paru en 2020, puis réédité en 2023, est donc utile. Retrouvez-le dans les salles D et C de la bibliothèque tous publics de la BnF (Haut-de-jardin), ainsi que dans la salle N de la bibliothèque de recherche (Rez-de-jardin).

Maître de conférences en science de gestion à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, Anthony Galluzzo s’intéresse aux imaginaires marchands. Dans La Fabrique du consommateur, il retrace la naissance et le développement de ce qu’il nomme la mentalité de consommation.

En deux siècles, nous sommes passés d’une société paysanne quasi autarcique à une société urbaine, hyper connectée, où la consommation joue un rôle central. Le développement des transports, la mécanisation de la production, la spécialisation ont séparé les producteurs et les consommateurs et ont permis aux distributeurs de se rendre indispensables. Autrement dit, le consommateur final ne connaît pas la valeur-travail des yaourts achetés au supermarché, pas plus que celle du smartphone qu’il a commandé en ligne. De quels pays viennent ses composants ? Comment ont-ils été assemblés ? Une fois le produit assemblé, qui l’a transporté jusqu’au domicile de l’acheteur ? L’objet manufacturé et son mode de vente rendent opaques les processus de fabrication et la logistique d’acheminement.

Pour arriver à cette disjonction, il fallait convaincre les acheteurs de changer de mode de vie. C’est ce qu’a permis la publicité. À l’origine, simple énoncé des caractéristiques d’un produit, elle utilise, à partir des années 1920, les nouveaux médias (presse, cinéma, radio…) pour transformer l’image de l’objet, rendre sa possession désirable et influencer les modes de vie et les représentations. C’est ce que fait, dans un autre registre, la propagande politique qui se développe à la même période.

La marchandise est mise en scène grâce à des dispositifs mis en place au tournant du xxe siècle par les grands magasins : vitrine, étalage et mise en rayon savamment agencés. Cette spectacularisation des produits conduit à l’apparition d’un nouveau comportement, le shopping. Flânerie dans l’espace marchand, il réapparaît plus tard dans les centres commerciaux, dont le modèle est importé des États-Unis dans les années 1970. On le retrouve aujourd’hui dans le parcours des internautes sur les plateformes commerciales en ligne. Le dispositif symbolique qui permet de repérer un produit et de le rendre unique et désirable est la marque, pierre angulaire d’un système qui vise à différencier par exemple les possesseurs d’ordinateurs frappés d’une pomme croquée ou les fumeurs de cigarettes dont le paquet rouge foncé et les lettres italiques dorées évoquent le luxe et le bon goût.

Cette synthèse pluridisciplinaire, nourrie des consumer studies et de la lecture de La Société de consommation, ouvrage fondateur de Jean Baudrillard paru en 1970, permet ainsi de retracer la prise du pouvoir des marchands et l’avènement d’une culture de la consommation, voire de l’hyperconsommation.

À lire également :

Plusieurs livres importants sont parus récemment dans ce champ de recherche, comme l’Histoire de la consommation de Marie-Emmanuelle Chessel (Paris : La Découverte, 2012) ou La Main visible des marchés de Thibault Le Texier (Paris : La Découverte, 2022). Signalons également Le Mythe de l’entrepreneur d’Anthony Galluzzo (Paris : Zones, 2023).

Enfin, en attendant notre série de billets sur les grands magasins, plongez-vous sans plus tarder dans l’art de la devanture en France grâce à Camille Napolitano, chercheuse associée au département Droit, économie, politique de la BnF.