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Portail Métiers du livre

Le site de ressources et d'information de la BnF sur les métiers du livre

Regard sur l'atelier de restauration de l'Arsenal

Présentation du personnel de l'atelier de restauration de la bibliothèque de l'Arsenal

Cette page vous présente les restaurateurs et restauratrices de la bibliothèque de l'Arsenal. À travers leurs travaux présentés sous forme d'interviews, nous vous proposons de vous faire découvrir la vie de cet atelier et les différentes réflexions sur le métier de restaurateur issues des expériences de chacun.

Un atelier au cœur des collections

La Bibliothèque de l’Arsenal abrite un million d’ouvrages et une trentaine d’agents dont cinq restaurateurs. Créé en 1972, l’atelier de restauration occupe le rez-de-chaussée du pavillon Est et participe pleinement à la vie de la bibliothèque.
L’atelier regroupe des restaurateurs de l’atelier aux profils complémentaires : formation en reliure, expériences d’ateliers (publics et privés) de reliure et de restauration, formations universitaires. L’équipe aborde ainsi la préservation du patrimoine de la bibliothèque en ayant « plusieurs cordes à son arc ». Les restaurateurs soulignent unanimement combien le voisinage immédiat des fonds et des collègues qui en ont la charge leur est précieux. Il suffit en effet aux bibliothécaires de « descendre à l’atelier » pour rencontrer les restaurateurs, et à ces derniers de « monter en magasin » pour affiner leur diagnostic. La richesse de la Bibliothèque de l’Arsenal réside dans la diversité de ses collections, et la variété des documents confiés à l’atelier en est le reflet. Des milliers de feuillets et des centaines de livres sont pris en charge par l’atelier chaque année, pour des interventions légères de moins d’une heure, ou des interventions plus lourdes de plusieurs semaines. Une partie des interventions légères, notamment sur les archives de la Bastille, est réalisée en collaboration avec des magasiniers volontaires.
Maillon essentiel dans l’organisation du traitement des documents du département, l’atelier participe à l’établissement de priorités sur des chantiers à long terme tout en étant réactif au jour le jour sur des demandes à courts délais (reproduction, expositions, etc.).
De manière plus large, les restaurateurs ont la charge de la vigilance hebdomadaire sur le climat des magasins. Ils apportent leurs compétences en cas d’urgence : inondation, suspicion d’infestations (insectes ou micro-organismes), en lien avec le laboratoire de la BnF. Ainsi, en complément de sa mission principale de restaurer les collections, l’atelier peut aussi travailler en conservation préventive.

Mots d'atelier

Claies
En parchemin ou en papier, posées avant la couvrure au dos et à l’intérieur des plats, elles renforcent l’articulation du mors.

Coiffe
Partie de peau qui protège les tranchefiles.

Corps d’ouvrage
Les feuillets cousus entre eux forment le corps d’ouvrage (les plats n’y sont pas encore rattachés).

Couvrure
Recouvrement de l'ouvrage. Les matériaux de couvrure peuvent être du cuir, du papier, de la toile...

Dos
Côté du livre correspondant au côté de couture des cahiers.

Lacunaire
Partie manquante.

Montage de feuillets
Des feuillets sont collés par une charnière ou un autre système sur un papier support. Ce papier support peut ensuite être relié, ce qui permet de garder ensemble et dans l’ordre des feuilles volantes.

Mors
On appelle mors, toute partie de liaison entre le dos et les plats d'un livre.

Nerfs
Ficelles ou bandes de cuir sur lesquelles le livre est cousu, et qui font saillie sur le dos.

Parure
Opération consistant à amincir le cuir côté chair.

Plats
Partie du livre le plus souvent rigide, qui recouvre la surface du papier.

Tranchefile
Broderie située en tête (haut) et queue (bas) du dos d'un livre.

L'Atelier de restauration de la Bibliothèque de l'Arsenal : Diaporama

1. Archives de la Bastille, restauration des feuillets, gommage en cours

2. Archives de la Bastille, restauration des feuillets, mise à plat entre feutres de laine

3. Archives de la Bastille, restauration des feuillets, découpe des papiers de restauration

4. Archives de la Bastille, restauration des feuillets, les feuillets après restauration

5. Couture de brochure, maquette

6. Couture d’un manuscrit sur parchemin du XVème siècle

7. Tranchefile originale d’un manuscrit byzantin du XIVe siècle

8. Travail de reconstitution de la tranchefile d’un manuscrit byzantin du XIVe siècle

9. Parure d’un cuir de restauration

10. Mise au ton d’une restauration papier

Dialogues dans l'atelier

L'équipe de l'atelier de restauration de la Bibliothèque de l'Arsenal, de gauche à droite : Fabrice Belliot, Marie-Thérèse Timal, Marlène Smilauer, Caroline Bertrand et Magali Dufour.

Comment se passe la prise en charge d’un document à l’atelier ? Quelles sont les étapes d’une restauration ?

Le document arrive en atelier et tout commence par un constat d’état : description du document et de ses dégradations. Ensuite, nous faisons un diagnostic : que peut-on déduire? Puis on s’accorde avec le responsable de fonds sur l’objectif de la restauration pour élaborer un plan d’action et l’exécuter, avec parfois des ajustements en cours de restauration. Le temps de la restauration comporte de nombreuses étapes, avec parfois de belles surprises : accès à une partie cachée, couture originale qui peut être consolidée, satisfaction au moment de la mise au ton de finition qui rend l’intervention discrète, plus respectueuse de l’objet. Dans la majorité des cas, il s’agit de consolider la structure qui a cédé par usure : rupture du mors (voir Mots d'atelier), de la couture, coiffes lacunaires, rattachement des plats, ou encore, pour le corps d’ouvrage, dépoussiérage, réparation de déchirures, comblement de lacunes. Parfois, dans le cas d’une correspondance à monter, un travail de création s’impose par la réalisation d’une reliure neuve, avec possibilité d’utiliser des papiers de marbreurs contemporains.
Nous travaillons de nombreux matériaux : cuir, papier, parchemin, fils de lin, fils de soie, aquarelles, teintures pour cuir, colle végétales, animales, synthétiques…

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de restauration ?

Les archives de la prison de la Bastille, par exemple (voir photos) : plus d’un million de feuillets sont conservés à l’Arsenal depuis la fin du XVIIIème siècle. Un chantier de conservation de ce fonds est engagé depuis trente ans. L’objectif est de numériser l’intégralité, la moitié étant déjà réalisée. Au regard de la quantité à traiter, nous avons choisi d'effectuer une intervention minimale. La première étape est un dépoussiérage à la gomme en poudre, en bloc ou en stylo. Pour les opérations de mise à plat et de restauration, on travaille en binôme. Les feuillets sont placés en chambre humide, ce qui permet au papier de se détendre et de s’assouplir : les plis sont défroissés, les lèvres de déchirures sont replacées correctement. Les zones à consolider sont doublées par collage recto/verso d’un papier japonais fin teinté. Le papier défibré est collé à l’aide d’une résine synthétique dissoute dans l’alcool. Les documents sont mis sous poids entre feutres de laine. Une fois les documents secs, l’excédent de papier japonais est découpé.
Autre exemple : un manuscrit sur parchemin du XVème siècle (photo 6),  recueil de sermons de Jean de Gerson, ouvrage composite dans son contenu mais pas dans son aspect. Il reste de la reliure contemporaine du manuscrit les plats en carton et leur couvrure en veau brun. La reliure n’a plus sa couture et son dos d’origine, les coins sont émoussés. La couture, faite lors d’une restauration au XIXème siècle, est rompue et ne maintient plus les plats et les cahiers. Le volume est « hors d’usage ». Pour permettre à nouveau une consultation du document sans risque de l’abîmer encore plus, nous avons décidé de déposer la restauration du XIXème siècle. Ensuite, nous avons réalisé une nouvelle couture sur doubles nerfs de peau en veillant à passer dans les trous de passage de la couture originale. De nouvelles claies en parchemin ont été posées. Des tranchefiles ont été réalisées. Les plats ont été remontés et le dos refait en cuir. Tous les collages ont été effectué à la colle d’amidon de riz.

Quelle est la particularité de votre métier ?

Notre métier relève de l’artisanat et de l’interprétation. Nous faisons connaissance avec les artisans de différentes époques en observant les matériaux et leurs façonnages. À travers les matières du livre, le contact avec le passé est intime. Comme pour une enquête, nous analysons les traces, la mise en œuvre initiale et les ajouts possibles d’autres époques.
L’histoire matérielle des œuvres est de mieux en mieux étudiée, grâce aussi au développement des techniques d’analyse scientifique sur les matériaux. Notre compréhension de la technique initiale nécessite parfois la réalisation de maquettes. Par l’étude et la restauration de nombreux ouvrages, nous apportons notre pierre à la connaissance des techniques, et préservons ou redécouvrons des savoir-faire, qui sont en eux-mêmes un patrimoine vivant.
Dans le cadre d’une bibliothèque patrimoniale, la restauration d’un livre ou de feuillets est une intervention directe qui vise à préserver au mieux les éléments d’origine d’un objet tout en permettant sa consultation en salle de lecture. Avec les responsables qui nous les confient, nous partageons la responsabilité d’intervenir sur des ouvrages anciens, qui ont traversé parfois plusieurs siècles. C’est ce qui est particulièrement émouvant dans notre métier.

Que faut-il savoir pour exercer ce métier ? Quelles formations sont possibles ?             

Le cœur du métier est pratique, artisanal. Pour exercer ce métier il faut être respectueux de l’habileté manuelle de nos ancêtres qui ont au fil des siècles relié les livres. Un savoir-faire solide en techniques anciennes de reliure demande précision et patience. Pour la partie théorique, il faut bien connaitre l’histoire de la reliure, l’évolution des techniques selon le lieu et l’époque de production. Des connaissances en physique, chimie et biologie, peuvent être utiles pour mieux comprendre certains phénomènes. Elles facilitent le dialogue avec les scientifiques spécialistes des matériaux ou les micro-biologistes, par exemple en cas de problèmes de moisissures et d’insectes, ou la planification de désinfections. Par ailleurs, le domaine de la conservation-restauration est en constante évolution et il est bon de veiller aux avancées de la discipline.
À l'atelier, nous avons chacun des formations différentes, qui correspondent à l’étendue du champ que peut recouvrir l’expression « restauration de livres et de documents graphiques », que ce soit pratique ou théorique. Comme dans beaucoup de métiers, l’expérience est essentielle - enrichie de l’expérience des autres grâce à l’échange possible au sein d’un même atelier de plusieurs restaurateurs.
Le profil le plus courant pour un restaurateur dans notre institution est celui d'un professionnel de la reliure, niveau CAP, BMA ou DMA, entré jeune dans les ateliers, à une époque où le recrutement était beaucoup plus important qu’aujourd’hui (dans les années 1980). Cette personne s'est ensuite formée en atelier au contact de collègues plus anciens, bénéficiant ainsi de leur savoir-faire et de leur expertise sur les collections. Aujourd’hui, se présentent des profils plus variés, avec souvent un cursus universitaire et une formation en reliure. Les formations au niveau Master mises en place dans les années 1970 (Institut national du patrimoine et Paris 1) ont développé les aspects théoriques en physique et chimie, en histoire de l’art, et histoire de la restauration. Certains restaurateurs soutiennent des thèses en conservation-restauration des biens culturels. Quelques profils de ce type arrivent en atelier.

Quelle est l’historique des ateliers à la BnF ?

À la Bibliothèque Nationale, l’existence des ateliers de reliure est attestée depuis 1857, d’après les cahiers de signatures. La restauration était à l’époque une activité secondaire. Le terme de restauration pouvait alors désigner le remplacement d’une reliure, ou la réfection d’une couture. À partir des années 1980, la restauration a commencé à être envisagée différemment. On est passé d’un rapport purement fonctionnel à une sensibilité plus historique qui s’accompagne d’un respect des techniques traditionnelles. Parallèlement, un meilleur dialogue s’est établi entre conservateurs et relieurs-restaurateurs, avec parfois des cours de codicologie, des formations sur l’histoire de la reliure. À cette époque, il existait quasiment un atelier par département de collection. Il y avait aussi l’atelier central qui travaillait pour tous les départements et d'autres ateliers en province pour des traitements de masse (presse). Aujourd’hui le personnel des ateliers s’est réduit. Certains ateliers de département ont été supprimés. Subsistent l’atelier de l’Arsenal, des Estampes et photographie, des Cartes et plans, des Monnaies, médailles et antiques. Quatre autres ateliers travaillent pour l'ensemble des départements. Actuellement, une soixantaine d’agents sont restaurateurs (ce qui représente environ 2.5 % du personnel de la BnF).

Est-ce intéressant pour vous d’être fonctionnaire au sein d’une bibliothèque, avez-vous des relations avec des professionnels extérieurs ?

En France, la grande majorité des restaurateurs travaille dans le privé. Nous avons ici la chance d’être fonctionnaires, employés par le Ministère de la Culture, dans la filière Métiers d’art (crée en 1992). L’entrée se fait sur concours. Être employé par la BnF à la Bibliothèque de l’Arsenal, nous permet d’appréhender l’ensemble d’un fonds et rend possible des projets à plus ou moins long terme sur la collection. Ceci n’est pas possible quand on travaille au coup par coup dans le privé. Nous connaissons des professionnels extérieurs par nos réseaux et nous sommes parfois en contact avec eux, certains viennent travailler dans nos locaux.
Par ailleurs, nous exerçons aussi d’autres types d’activités à la Bibliothèque. Par exemple, les restaurateurs participent quasi mensuellement aux montages de documents dans les vitrines pour les événements de l’Arsenal, et peuvent convoyer des œuvres qui seront exposées dans d’autres institutions. Nous animons aussi des présentations grand public, comme aux Journées européennes du patrimoine. Enfin, l’atelier, depuis peu, organise des événements en lien avec le métier lors des Lundis de l’Arsenal des Rendez-vous des métiers du livre : cette année, le lundi 24 juin, une soirée intitulée « Coudre c’est relier » permettra de présenter au public l’une des étapes majeure de la construction du livre.

Un grand merci à tous les restaurateurs de l'Arsenal de nous avoir ouvert les portes de l'atelier et dévoilé les arcanes de leur métier passionnant!

Propos recueillis par Hélène Séveyrat, bibliothécaire, Bibliothèque de l'Arsenal, 21/02/2019