Eva Alonso, née le 07/09/1982 à Bordeaux. Elle obtient son CAP reliure en 2014 et continue de se former auprès de Catherine Malmanche pendant plusieurs années. Elle a également suivi la formation de restauration des livres anciens au CFRPE à Tours. Elle reprend l’atelier des Bernardins en 2020.
Catherine Malmanche, née le 22/02/1956 à Paris, elle obtient un CAP de reliure en 1977 après une formation à l’UCAD. Elle installe son premier atelier en 1978, enseigne aux ateliers de l’ADAC et reprend l’atelier de la rue des Bernardins dans le 5ème en 1991. Après 30 années de reliure et de restauration dans cet atelier historique, elle passe le témoin à Eva Alonso en 2020.
Marie Rémy, née le 21/01/1961 à Paris, suit la formation de dorure sur livre à l’UCAD de 1981 à 1984. Elle est installée à son compte depuis 1988 et travaille à l’atelier des Bernardins depuis 1991.
En gros plan, on voit encore mieux à quel point il était nécessaire d’être crédible quant à l’époque supposée de la reliure de ce livre de magie. (consulté par Johnny Depp).
José Lopez Rodero dans son antre-atelier.
Comparaison entre la photocopie et l’original des gravures. Notons que celles-ci furent subtilement modifiées par rapport à celles publiées dans le roman pour accuser une ressemblance nette avec les acteurs.
Un atelier de restauration de livres portant le nom de « cendre » : ceniza. Attention : piège !
Nous vous convions à découvrir l’Atelier des Bernardins, sis à Paris au 12 de la rue du même nom. Un lieu chaleureux où l’espace chargé d’histoire est bien rempli - avec des instruments parfois spectaculaires et anciens, de nombreux ouvrages en attente de traitement - et habité par trois professionnelles, Eva Alonso, Catherine Malmanche et Marie Rémy, spécialisées respectivement dans la restauration de livres anciens, la reliure et la dorure.
Bonjour Mesdames, tout d’abord, merci beaucoup pour votre accueil et le temps que vous consacrez à cette visite alors que vous débordez d’activité. Alors que la reprise s’annonce un peu partout, pouvez-vous revenir sur les effets que la crise sanitaire a eus sur vos activités ?
Ceux-ci ont été moins importants qu’on pourrait l’imaginer et se sont surtout fait sentir lors du premier confinement. Mais la baisse d’activité constatée à ce moment n’a pas donné un coup d’arrêt à l’atelier. Nous venons de faire redémarrer nos cours collectifs en reliure accueillant jusqu’à trois personnes en simultané et les initiations individuelles à la dorure. Dans ce dernier cas, comme il n’y a qu’un poste de travail, nos capacités d’accueil sont de toute façon limitées par les espaces. Les stagiaires accueillis en alternance à leur formation pourront revenir dès novembre de cette année. Enfin, pour les stages d’été organisés depuis plusieurs années dans le Sud-Morvan, les dates ont glissé à plusieurs reprises en 2021.
Mais parmi les bonnes nouvelles un peu surprenantes dans le contexte récent, il faut compter avec la reprise de l’atelier par Eva Alonso il y a un an. Cela donne de l’espoir car la jeune restauratrice a encore une belle carrière devant elle, alors que d’autres ateliers proches par les activités ou le quartier disparaissent complètement lors d’un départ en retraite.
Un des éléments qui attire très vite le regard, c’est votre imposant massicot !
On a de bonnes raisons de penser qu’il n’a pas tellement changé de place depuis l’ouverture d’un atelier de reliure à cette adresse et qu’il est simplement passé du premier étage au rez-de-chaussée quand celui-ci s’est installé de plain-pied avec la rue. Mais nous ne pourrions pas nous en passer et il sert tous les jours !
Comment se répartissent les activités au sein de l’atelier et quelle analyse faites-vous de votre clientèle ?
Pour la plupart, les commandes concernent la reliure. La restauration de documents anciens (pas forcément au sens académique du terme, puisqu’on peut y inclure la série des Bibliothèque rose des grands-parents) occupe la deuxième place. Enfin, la dorure peut constituer soit une étape dans ces deux opérations de reliure et de restauration, soit s’appliquer à des objets un peu atypiques comme par exemple des livres d’or ou des menus. Mais même pour des menus, l’atelier se restreint à une série limitée à environ 20 exemplaires car le personnel ne peut pas et ne veut pas se lancer dans une production de masse.
Pour la clientèle, c’est assez partagé même si la part institutionnelle est peu importante. Celle-ci comprend cependant des commanditaires prestigieux comme la Bibliothèque du Collège de France ou encore la bibliothèque du Collège des Bernardins, à proximité immédiate de l’atelier, mais aussi la Bibliothèque Thiers. Mais il s’agit aussi pour une bonne part de travaux plus ponctuels, souvent confiés par des particuliers. Une collection complète de volumes de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ayant donné beaucoup de travail à l'atelier vient ainsi de cette clientèle fidèle. Celle-ci se recrute souvent dans un quartier combinant divers avantages : plutôt privilégié, avec des clients ayant à cœur de conserver un patrimoine écrit familial, le cinquième arrondissement est fréquenté également par une communauté étudiante pour qui le livre compte (l’atelier se situe à proximité des sites historiques de la Sorbonne), et aussi par des touristes - même s’ils se font moins nombreux ces derniers temps. Dans un passé encore récent, des touristes venant d’horizons lointains ont pu constituer une clientèle fidèle. Et tant pour les particuliers que les institutions, les anciens stagiaires à présent installés à leur compte ou en poste en bibliothèque peuvent constituer de précieux relais.
Compte tenu de l’ancienneté de l’atelier, il faut donc conclure que votre situation plutôt enviable est aussi le résultat d’un bouche à oreille favorable.
C’est certainement le cas et cela peut aussi se manifester dans nos relations avec d’autres métiers de la chaîne du livre même si les choses sont plus compliquées à présent. C’est ainsi que les libraires d’ancien, autrefois, nous confiaient plus volontiers des travaux de restauration et de reliure. Actuellement, soit ils estiment ne pas avoir les moyens d’investir dans une reliure, soit ils y voient un véritable investissement, avec un relieur qui s’est fait un nom comme relieur d’art, un créneau qui n’est pas celui qu’occupe l’atelier des Bernardins. La meilleure façon qu’ils peuvent encore avoir d’aider l’atelier, c’est de le recommander aux clients qui ont envie de prendre en charge eux-mêmes cette opération de reliure pour une occasion particulière, par exemple. Dans ce cadre précis, pour répondre à toutes les demandes parvenant à l'atelier, il arrive que nous réalisions des reliures d'art à décor selon les souhaits exprimés par nos clients.
Parfois, l’atelier participe lui-même à une chaîne vertueuse, par le biais de ses fournisseurs. Au gré de certaines commandes très particulières, nous pouvons être amenées à passer commande de certains fers à dorer anciens que nous n’avons pas dans nos collections à la Maison Alivon. Ou bien pour des logos à intégrer pour des commandes institutionnelles. Il y a là une collaboration naturelle avec une entreprise plus que bicentenaire et située dans le même arrondissement.
Pour des opérations plus fréquentes, comme certaines créations, nous utilisons des papiers marbrés français faits main. Il peut aussi arriver que certaines restaurations fassent également appel à ce type de matériau si l’on est contraint de remplacer le papier marbré d’origine.
Il faut donc trouver d’autres moyens de continuer à se faire connaître en bien auprès d’une clientèle qui peut être intimidée par l’univers de la reliure.
Oui, et c’est ce qui explique pourquoi nous cultivons une volonté d’ouverture. Elle se manifeste de différentes façons. L’atelier participe très fréquemment au Festival Quartier du livre, mais aussi aux Journées Européennes des Métiers d’Art. Mais au quotidien, ce sens de l’accueil se voit dès la vitrine. Sur celle-ci, on trouve en exposition des réalisations de tailles variées et à prix doux, parfois inattendues. Ces présentations peuvent donner à des passants qui ne pensaient pas que la reliure, c’était aussi pour eux, envie de franchir le seuil. D’autant qu’une petite affiche « Frappez et on vous ouvrira » y encourage. Les heures et jours d’ouverture sont généreux, du lundi au vendredi et avec un accueil possible sur rendez-vous le samedi.
J’imagine aussi que des libraires d’anciens vous recommandent auprès de leurs clients qui ont envie d’ajouter la reliure à l’achat d’un beau livre ?
En effet, c’est ainsi que les choses se passent ces derniers temps. Avant, ces mêmes libraires n’hésitaient pas à nous confier des reliures, mais ils répercutaient ces travaux sur le prix de vente. La tendance actuelle entraîne une séparation entre quelques libraires de haut niveau qui tiennent à avoir des relieurs reconnus comme des artistes et certains qui donnent nos coordonnées. Nous nous adaptons à ce changement sans trop de mal.
Observez-vous des commandes plus fréquentes à certains moments de l’année ?
Oui, il arrive assez souvent que l’on décide d’offrir une reliure pour Noël. Certains clients anticipent, d’autres moins… En novembre, la pile d’ouvrages à relier peut prendre de la hauteur. Il faut savoir s’adapter à de telles fluctuations.
En consultant votre site internet, parmi toutes les prestations proposées, on trouve aussi dans l’onglet « Créations», un dernier champ d’activité très spécifique : « Vrais faux-livres pour le cinéma et le théâtre ». Même s’il s’agit sans doute pour vous d’une activité marginale, pouvez-vous nous en dire plus ?
Sous cette appellation, on trouve des réalisations très variées. Cela peut aller de la fabrication de vrais faux passeports, à un livre censé dater du XVIIème siècle ou encore à des objets comme des carnets, comme ce fut le cas pour l’adaptation des Âmes grises au cinéma.
Les aspects sont d’une grande diversité mais il convient toujours de privilégier la véracité. C’est peut-être encore plus vrai pour le cinéma que pour le théâtre car il peut y avoir des gros plans sur ces livres ou autres documents graphiques qui doivent faire vrai et que l’on doit pouvoir manipuler comme les objets qu’ils imitent. C’est ainsi que les livres contiennent parfois du texte sans signification mais avec des pages que l’on tourne normalement. Cet aspect diffère des faux livres utilisés en décoration dans des vitrines d’ameublement où l’on a parfois affaire à de simples boîtes d’une forme particulière!
C’est tout à fait intéressant ! Avez-vous un exemple particulier de collaboration de votre atelier pour ce type de besoin, dans le domaine du cinéma ?
Nous avons eu un gros travail (très gratifiant finalement) pour le tournage de l’adaptation de Club Dumas, roman d’Arturo Perez-Reverte, au cinéma, sous le titre même du livre qui est au cœur de l’intrigue, historique et policière : La Neuvième Porte, film réalisé par Roman Polanski et sorti en 1999. Tout l’intérieur du livre que l’atelier a produit était constitué d’une dizaine de « fausses pages » classiques. Mais il fallait également insérer des gravures qui constituent autant d’étapes initiatiques pour les acteurs.
Vous voulez dire, les personnages ?
Dans ce cas précis, les acteurs. Car les gravures qui ont été utilisées diffèrent un peu, pour les visages, de ce que l’on trouve dans le roman. Pour que l’adaptation soit complètement réaliste, ceux-ci ont pris les traits des acteurs principaux, en particulier Johnny Depp ou Emmanuelle Seigner. Par ailleurs, la page de titre a été calligraphiée avec un grand souci du détail. Mais le pire, dans le cinéma et ce film, c’est qu’il faut fabriquer plusieurs exemplaires en cas de prises multiples.
Il fallait tourner en même temps des scènes différentes mettant en scène différents personnages manipulant le livre ?
Non, dans ce cas précis, l’exigence de multiplicité des exemplaires avait une raison d’être bien plus radicale. Le livre finissait par être brûlé… Et pour cette scène, il n’y a pas eu qu’une prise !
J’espère au moins qu’il n’y en a pas eu cinquante ! On est loin d’imaginer toutes les implications de ce type de réalisation pour le cinéma. Mais dans un cas pareil, il y a dû y avoir des retombées positives sur l’atelier… même si le simple fait d’avoir été choisi montre que votre réputation n’était plus à faire.
En effet, il y a eu des retombées inattendues et qui nous ont donné beaucoup de travail. Des groupes d’amateurs de ce film de Roman Polanski (qui connut un grand succès) ont fini par apprendre que nous avions réalisé le livre utilisé lors du tournage alors que l’atelier n’était pas cité au générique. Et de fil en aiguille, nous avons fourni des fac-similés de ce livre d’abord pour des amateurs aux États-Unis, puis en Allemagne.
C’est passionnant, mais il est entendu que ce type de création ne peut rester qu’un à-côté pour l’atelier. Avez-vous, les unes et les autres, un message à faire passer sur la reconnaissance de vos métiers, des regrets, des espoirs ?
Nous regrettons un peu de voir certains jeunes manquer d’heures de formation pour acquérir les bases, d’autant que tous n’ont pas choisi par vocation la reliure, mais s’y sont retrouvés un peu par défaut. Il est vrai que ces savoir-faire traditionnels ne sont pas toujours valorisés par les pouvoirs publics en France. Alors même que certains de nos stagiaires qui se sont installés à l’étranger (en Chine par exemple) y connaissent le succès. Mais si nous bénéficions sans doute moins d’une valorisation médiatique de nos métiers que d’autres relevant de l’artisanat d’art, nous ne perdons pas espoir. Nous avons ainsi récemment réalisé d’autres produits encore, comme des emboîtages conçus spécialement pour des photographes, des galeries. Et l’aventure de l’atelier est loin d’être terminée !
C’est sur cette note optimiste que nous allons clore cet entretien et vous adresser tous nos remerciements pour tout ce que vous avez partagé avec nous. Peut-être cette conversation vous vaudra-t-elle d’autres visites de votre site internet ou directement de votre atelier.
Propos recueillis par Anne-Bérangère Rothenburger et Hélène Séveyrat, Atelier des Bernardins, 19/10/2021