Sophie Blain, née le 03/09/1974 à Suresnes, se spécialise en gestion de projets culturels après avoir obtenu un DESS de droit des collectivités territoriales en 1998. Elle administre la compagnie de théâtre la Llevantina de Marie-José Malis durant deux années avant de débuter une carrière d’éditrice jeunesse spécialisée en accessibilité pour les enfants en situation de handicap (Direction des éd. Benjamins media puis des éd. Les doigts qui rêvent). D’abord spécialisée dans l’édition pour les enfants aveugles et malvoyants, elle s’est formée aux questions d’accessibilité pour tous les handicaps et tous les supports. Depuis 2016, elle forme et accompagne tous les professionnels (auteurs, éditeurs, bibliothécaires) dans le développement d’une chaîne du livre plus inclusive pour les personnes en situation de handicap.
L'équipe des Doigts qui rêvent
Solène Négrerie, née le 20 décembre 1983 à Dijon. Des études en arts appliqués à l'ENSAAMA et une licence en multimédia. Quelques petits boulots, avant de très vite intégrer l'équipe de LDQR en 2007. Depuis 15 ans, elle conçoit des adaptations tactiles d'albums jeunesse pour les rendre accessibles au public déficient visuel, mais aussi réalisables en série. Elle accompagne également des professionnels dans la création et la fabrication de supports culturels accessibles et inclusifs.
Pinpin et ses copains - Marcelle Peeters & Monique Sommer - Belgique : 1er Prix
Plants (Plantes) - Samaneh Naderi - Iran
Exercices de motricité avec “M” (garçon de 4 ans) autour de La Chasse à l’ours, à l’Institut national des jeunes aveugles
Depuis sa création en 1994, la maison d'édition associative Les Doigts Qui Rêvent s'est spécialisée dans la conception et la réalisation d'albums tactiles, faisant pleinement entrer le toucher dans l'appréhension sensorielle du livre pour les très jeunes lecteurs, voire les bébés lecteurs. Depuis, même si les enfants, avec ou sans handicap visuel, restent le public privilégié, beaucoup de chemin a été parcouru. Considérablement élargie, l'offre propose à présent de nombreuses médiations dont des ateliers en ligne ou au contraire en plein contact avec les livres. Co-créer l'exposition Fragile ! présentée à la Cité des Sciences et de l'Industrie représente un nouvel élan pour cette maison qui édite aussi des collections scientifiques destinées aux adultes concernés, parents ou professionnels. Un focus sur le concours international bisannuel Typhlo & Tactus (édition 2021 décalée début 2022) complète la présentation par sa directrice, Sophie Blain. Solène Négrerie, responsable de création et de design accessible, présente quelques réalisations en cours.
Pour favoriser l'inclusion de tous les enfants avec des besoins spécifiques, notamment ceux porteurs de déficience visuelle, quelles sont les particularités de la conception et de la production des albums tact-illustrés que vous proposez ?
SB : Les albums tact-illustrés vont permettre aux enfants déficients visuels de vivre, comme tous les autres enfants, un temps de lecture en autonomie ou bien accompagné par un adulte. Outre l’échange autour de la parentalité, autour de l’éveil à l’imaginaire, pour les enfants déficients visuels, il s’agira aussi de leur donner à comprendre le monde qui les entoure. Pour des enfants aveugles de naissance, les illustrations tactiles vont leur donner une représentation du monde (par exemplaire Où es-tu Lune ? avec des illustrations qui permettent de comprendre qu’un lapin est plus petit qu’un ours, plus petit qu’une girafe que le lapin a des oreilles, l’ours une fourrure poilue, la girafe est tachetée, par exemple dans Planète, on donne à comprendre la forme d’une planète, les avions qui tournent autour…, des choses que les voyants voient, mais que les aveugles ne peuvent pas aisément découvrir par le toucher.
Parler de la conception des albums tactiles nécessite un préalable important, récuser une idée fausse. Il ne s’agit pas d’une illustration sur laquelle on viendra apposer des textures différentes là où il y aura des couleurs différentes, sorte de coloriage tactile. Non, le processus de lecture tactile avec les doigts est différent de la lecture avec les yeux. Aussi dans les créations tactiles de Solène Négrerie, il s’agit de recréer tactilement l’univers d’un album jeunesse adapté au mode de représentation d’une personne qui n’a peut être jamais vu. En fonction de l’âge de l’enfant, en fonction d’un parti pris artistique, mais aussi en fonction de ce que l’histoire raconte, Solène Négrerie décide de recourir à tel ou tel type d’illustrations tactiles, ou bien de les panacher. Elle choisit aussi des textures très variées pour associer le sujet représenté à la texture la plus en adéquation, elle a souvent recours à des systèmes à manipuler, pour être dans une expérience de lecture plus active et immersive (incarnée). L’objectif est d’amener progressivement, d’albums tactiles en albums tactiles dès 18 mois l’enfant à une culture tactile la plus riche et variée afin de lui permettre d’être le plus autonome ensuite à l'école dans la lecture de dessin en relief (en résine).
De plus ces albums tactiles sont réalisés artisanalement. Outre l’impression des pages (texte en noir et en résine braille) qui est confiée à un imprimeur, tout le reste de la fabrication ne peut être réalisé que manuellement. Les éléments des illustrations tactiles sont découpés, cousus, collés… puis les illustrations tactiles sont intégrées, une par une, aux pages du livre. La reliure ce doit être robuste, permettant une lecture à plat aisée. Un travail méticuleux qui nécessite en moyenne entre 3 à 6 h de travail manuel par exemplaire. Tous nos prestataires sont choisis dans l’économie locale, sociale et solidaire.
Pour la production justement, comment les bénévoles membres de l'association participent-ils à la réalisation des ouvrages ?
La fabrication des livres est assurée dans notre atelier à Talant. Marilyn Dole, responsable de l’atelier encadre le travail d’assistants de production qui sont rejoints par une vingtaine de bénévoles chaque semaine, jamais tous en même temps. Les bénévoles réalisent des travaux minutieux de découpe, de couture, de collage en fonction de leur envie et des besoins de l’atelier. Mais il y a aussi plus d’une dizaine de bénévoles qui accompagne l’équipe salariée sur la définition du projet, son orientation éditoriale, la relecture...
Auprès de quels publics souhaitez-vous sensibiliser à la déficience visuelle, mais aussi à l'édition adaptée, et, au-delà encore, à l'accessibilité?
Nous avons trois axes de sensibilisation/ formation à la déficience visuelle. Tout d’abord sur l’importance même de ce qu’est l’édition accessible : quelle sont les incidences du handicap dans l’accès au livre et à la lecture et les différentes modalités qui existent pour permettre à tous d’accéder à l’objet livre et à son contenu. Là, ce sont les bibliothécaires, les éditeurs, les orthophonistes, les éducateurs qui sont en recherche de solution pour leur public. Ensuite sur les spécificités de l’illustration tactile. Il y a en premier lieu une formation proposée sur la conception d’une adaptation tactile d’un album du commerce (quelle stratégie, quelle technique, quel outil ?). Cette formation intéresse soit des bibliothécaires, mais aussi des professionnels qui accompagnent des enfants en situation de handicap (ergothérapeute, enseignants, bibliothécaires, éducateurs). En second lieu, comment construire une médiation avec des albums tact’illustrés en guise de sensibilisation au handicap ou bien pour réaliser des médiations accessibles au public en situation de handicap ? Elle s’adresse à des médiateurs, animateurs, bibliothécaires, enseignants...
Comment en êtes-vous arrivés à créer un album pour les personnes âgées en EPHAD ? Pour ce projet innovant, avez-vous procédé différemment pour la conception de l'ouvrage ?
SB : Pour ce coffret multisensoriel pour les personnes âgées sur lequel un premier prototype est en cours de co-construction avec les résidents et l’équipe d’un EHPAD mutualiste à Talant (21), il s’agit d’explorer pour ce public l’apport du livre sous un angle multisensoriel. À chaque texte court du coffret sera associé une illustration tactile, une odeur, un objet du quotidien, une musique, son ou chanson. Est-ce que notre expertise autour de l’illustration tactile sera transposable aux personnes âgées ? Pour quel bénéfice ? Nous avons encore beaucoup de questions même si depuis le début du projet fin 2021 nous avons déjà beaucoup appris.
SN : J'ai conçu pour le moment 2 triptyques d'illustrations tactiles : le premier autour du voyage et de l'imaginaire et le second sur les différents préparatifs d'un homme et une femme s'apprêtant avant de sortir. Camille Morandeau, responsable des médiations et des animations, a quant à elle réalisé un atelier autour d'objets, de matières, d'odeurs permettant à chaque résident d’évoquer son chemin de vie. Tous les prototypes ont été conçus afin de laisser la possibilité à chaque participant de se raconter, de donner un avis critique et surtout de participer à la création en apportant des idées.
SB : Les premiers ateliers de co-construction avec les résidents s’achèveront fin mars 2022. Le premier prototype sera conçu avant l’été. Il y aura d’ici le printemps 2023 2 autres prototypes, l’un avec l’EHPAD mutualiste de Chenôve (21) puis avec l’EHPAD de Chaumont (52). À l’issue, un prototype final sera conçu en 10 exemplaires et adresser dans 10 EHPAD pour des tests terrain. Une parution est programmée pour 2024.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre projet de recherche pour 2022 ?
SB : Il s’agit d’apporter des éléments concrets sur l’apport de l’utilisation très tôt, dès 2 ans, de l’album tactile aux enfants en situation de handicap visuel et/ou en situation de handicap mental. L’illustration tactile est une modalité d’accessibilité universelle très riche au niveau de l’éveil à la conscience de l’écrit, du développement de l’imaginaire. L’association de l’histoire qui est racontée à l’enfant, associée à la manipulation par l’enfant des illustrations tactiles génère cognitivement un environnement favorable pour faciliter les interactions entre l’enfant et l’adulte et le développement langagier.
Quelles sont pour vous (du point de vue de l'organisation) les spécificités du concours, avec le contexte de la crise sanitaire ?
SB : Le contexte sanitaire est venu « bousculer » l’organisation du concours. En premier lieu, la réunion technique préparatoire entre les membres jury qui devait avoir lieu à Rotterdam en 2020 sur deux jours s’est finalement déroulée en visioconférence sur deux demi-journées. En second lieu, le jury international qui devait se réunir à l’automne 2021 se réunira les 30 mars, 1er, et 2 avril 2022 à Padoue en Italie. Enfin, bien avant ce changement de date, de nombreux pays ont renoncé à organiser la compétition dans leur pays. La France, quant à elle, n’a pas souhaité modifier les dates de son concours national. Le jury français a délibéré et choisi 5 maquettes le 13 septembre dernier.
La prochaine édition aura donc lieu en 2024 et non en 2023. Sur cette 15e édition, deux pays participent pour la première fois : L’Afrique du Sud et les États-Unis.
Avez-vous mis en place un accompagnement particulier pour donner envie aux concurrents (francophones en particulier) de se présenter cette année : des webinaires et autres ateliers en ligne ? Une communication plus poussée via les réseaux sociaux ?
Pour accompagner les créateurs de maquettes dans leur réflexion et réalisation, Les Doigts Qui Rêvent met à leur disposition depuis un an un site internet entièrement dédié au concours. On peut y découvrir des conseils, mais aussi l’intégralité des photos des 68 maquettes tactiles ayant concouru à la précédente édition (les 3 maquettes primées, les 6 maquettes « coups de cœur » des jurés, et enfin toutes les autres), mais aussi des maquettes primées des éditions précédentes. Cela offre un panorama très large et très inspirant je l’espère. De plus en 2021, nous avons organisé 4 workshops en visioconférence pour permettre aux concurrents de suivre une présentation théorique sur les différentes stratégies et techniques d’illustration tactile, mais aussi de répondre aux questions sur les choix à réaliser des uns et des autres. Chaque workshop était complet.
Enfin, via les réseaux sociaux, nous avons beaucoup communiqué sur l’organisation du concours.
Y a-t-il des thèmes particuliers et nouveaux qui se dégagent ?
Pour la sélection française, nous n’avons pas constaté de tendance nouvelle forte. Nous avons vu apparaître des sujets nouveaux comme le système solaire, des livres avec des étapes préparatoires proposées à l’enfant pour lui transmettre une grammaire de l’image. Il y a eu en effet 2 livres autour de la cuisine !
Comment les jurys sont-ils constitués au sein de chaque pays ? Qui peut en faire partie et à quel titre ?
Comme LDQR ne peut rien contrôler dans chaque pays, chacun est responsable du choix des jurés. C’est pour ça que LDQR demande à chaque pays d’envoyer la liste des jurés et la liste des 5 maquettes sélectionnées AVANT que le jury international se réunisse, et si LDQR n’a pas ces 2 documents, ces pays ne peuvent pas participer.
En France, le jury était composé en 2021 de 8 personnes : d’un parent d’enfant aveugle, de 2 bibliothécaires dont une bibliothécaire aveugle, d’un designer tactile, de 2 éditrices, d’une éducatrice de jeunes enfants spécialisée auprès d’enfants sourds et aveugles, d’une auxiliaire de vie journalière (« AVjiste »). Par ailleurs le règlement du concours précise que pour adresser une maquette tactile au concours, il faut que son auteur l’ait fait tester par un lecteur aveugle.
En conclusion, comment participez-vous au rayonnement à l'international de l'illustration tactile (en plus du concours Typhlo et Tactus) ?
Nous participons au rayonnement à l’international de l'illustration tactile en innovant sans cesse nos techniques d’illustration tactile. Pour cela, nous nous nourrissons des retours des lecteurs notamment via des séances de co-construction avec les publics (cette année pour l’album Fragile ! de l’exposition de la Cité des sciences ou encore nos tests terrain autour d’un nouveau format de livre tactile pour des lecteurs braillistes confirmés à paraître en juin 2022) ou encore en collaborant avec des chercheurs en psychologie cognitive sur les projets expérimentaux. Par exemple nous travaillons sur un projet d’album tactile inédit écrit par Lucie Felix et Dannyelle Valente qui comprendra des tissus connectés permettant à l’enfant de déclencher des ambiances sonores au fil de son parcours tactile. Il s’agira de proposer à l’enfant une expérience de lecture encore plus immersive. Enfin, notre rayonnement tient aussi à notre capacité de production. Au fil des années, nous avons mis en place des techniques de fabrication dite complexe pour savoir produire plus de 3000 livres tact'illustrés chaque année pour la France, mais aussi pour l’Allemagne, les Pays-Bas, les États-Unis. Les Doigts Qui Rêvent est l’atelier mondial de l’album tactile illustré !!
Propos recueillis par Anne-Bérangère Rothenburger, Bibliothèque de l'Arsenal, 23 février 2022
Vidéo de Dannyelle Valente, maître de conférences en psychologie du développement à l'université de Lyon 2.